novembre 2014

Logiciels libres, quelle politique des marchés publics à l'ère du numérique ?

Quelques notes.

http://blogs.gplindustries.org/sites/default/files/PolitiqueMarchésPublics.pdf

Cyrille Béraud.

Cyrille.beraud@savoirfairelinux.com

Une politique des marchés publics au service de la modernisation de l'État et de l'innovation.

« L’État peut contribuer significativement à la croissance des entreprises québécoises par l’intermédiaire des marchés publics.
La mobilisation des marchés publics pour l’achat de produits ou de services innovateurs proposés par nos entreprises, en
plus d’ouvrir la porte à la commercialisation de certaines innovations québécoises, peut également engendrer un renouveau au
sein de l’État, et au sein de la société en général. Il s’agit pour les institutions et les organismes du gouvernement d’un moyen
privilégié pour accéder aux plus récentes technologies, aux nouveaux savoir-faire et aux idées nouvelles.
Sur un autre plan, l’innovation peut contribuer à accroître l’efficacité des services publics.

Dans le but d’aider les entreprises d’ici à pénétrer de nouveaux marchés, et en vue d’accroître son propre recours à
l’innovation, le gouvernement québécois favorisera, dans le cadre de ses appels d'offres publics, l’achat de produits innovants.

( … ) En favorisant l’innovation au moyen des marchés publics, l’État québécois contribuera à accélérer la mise en marché de
technologies innovantes et de technologies propres développées par des entrepreneurs d’ici, par l’entremise des achats publics. »1

Objectifs de la politique :

  • permettre à l'État d'obtenir aux meilleurs prix les meilleurs produits et services;
  • préserver les investissements déjà réalisés;

  • ouvrir les marchés publics aux petites et moyennes entreprises québécoises;

  • tirer profits des logiciels libres et des technologies ouvertes.

Quel est le problème actuel ?

Imaginons la situation simple d'un organisme public ayant identifié le besoin d'une solution logicielle. Il lance un appel d'offres et reçoit deux offres
équivalentes en terme de fonctionnalités et au même prix.
L'une est construite sur des logiciels privateurs, l'autre s'appuie sur des logiciels libres.

Les deux offres sont au même prix, mais ont-elles la même valeur pour l'État ?

Il est facile de montrer que, si le prix est le même, cette valeur est très différente. Ce différentiel de valeur, non-pris en compte dans les appels
d'offres est, d'après nous, l'obstacle principal à l'adoption des logiciels libres dans les organismes publics:



C'est un service – l'État loue le logiciel. Il ne possède ni le logiciel ni les codes sources.

C'est un bien (un actif) – l'État possède le logiciel et les codes sources.

Le logiciel ne peut pas être copié, ni redistribué. Les restrictions d'usages sont généralement très importantes.

Le logiciel peut être copié, redistribué - sans frais pour l'État - par exemple dans d'autres organismes qui en profiteraient.

Le logiciel ne peut pas être modifié ou ajusté selon les besoins.

L'État ne peut pas capitaliser. C'est une dépense courante.

Le logiciel peut être modifié, ajusté selon les besoins, amélioré. C'est une solution sur laquelle l'État peut capitaliser. C'est un investissement.

Seul le fournisseur peut fournir du support, la maintenance et l'évolution de la solution. (situation monopolistique).

L'évolution, le support et la maintenance peuvent être réalisés par plusieurs entreprises (marchés concurrentiels).

L'État ne peut pas garantir la sécurité de sa solution.

L'État peut garantir la sécurité de sa solution.

La différence essentielle entre les deux solutions est la valeur patrimoniale de la solution. Celle-ci se résume dans le premier item du tableau :
dans le cas de la solution en logiciel libre, l'État possède un actif. Dans l'autre cas, il est juste locataire.
Dans un cas il possède un patrimoine qu'il peut faire fructifier, dans l'autre, il ne possède rien (ou pas grand chose).

Valeur patrimoniale et politique des marchés publics

Situation actuelle

Schématiquement, les critères de la politique d'achat du gouvernement du Québec s'articulent autour de deux paramètres : le prix (P) et la qualité (K).

Un contrat est adjugé au plus-bas soumissionnaire dont le prix est ajusté par la qualité. Ce prix « ajusté » est calculé ainsi :

avec

Les critères permettant de calculer la valeur de K sont par exemple, en fonction du contexte : la capacité de relève du fournisseur, l'expérience
des ressources proposées, l'existence d'un système de gestion de la qualité (ISO), etc...

Proposition

Nous proposons d'introduire un nouveau paramètre d'ajustement établissant la valeur patrimoniale (V) de la solution proposée.

avec et

Les critères permettant de calculer la valeur V pourraient être :


Critères pour le calcul de la valeur patrimoniale d'une solution logicielle

Respect du cadre commun d'interopérabilité du gouvernement du Québec

Absence de restrictions d'usage

Droit de modifier le logiciel

Droit de copier le logiciel

Droit de redistribuer le logiciel

Possession de la propriété intellectuelle

 

Nous suggérons de fixer arbitrairement la valeur de V à 0,4 pour les contrats inférieurs à 1M$ et laissons le soin aux DPI de
fixer V pour les contrats de valeurs supérieures.

 

Quelques effets de cette proposition :

 

1. Permet de préciser le rôle et les responsabilités des acteurs :

Aux politiques, de délimiter le périmètre patrimoniale de ses systèmes d'informations.

À la fonction publique de mettre en œuvre ce périmètre en jouant sur la valeur de V.

 

2. Ne pas opposer logiciel libre et logiciel privateur. Mais plutôt en terme stratégique : identifier les périmètres où l'État a intérêt
à être locataire ou propriétaire (Services ou biens).

 

3. Préservation des investissements déjà réalisés.

Les projets déjà engagés peuvent être protégés en ajustant le coefficient V. Le locking fournisseur jouant au maximum lorsque V est au minimum.

 

4. Accès des PME/PMI en TIC aux marchés publics :

Le logiciel libre est la voie qui permet aux petites et moyennes entreprises d'accéder aux marchés publics. En effet, dans le modèle conventionnel,
l'obstacle principal est la gestion du risque. Le risque de défaillance d'une petite entreprise est important et pourrait avoir des conséquences graves
pour les MO. Dans le contexte du libre, les MO possèdent les sources et le marché du support et de la maintenance est ouvert et concurrentiel.
Le risque est donc beaucoup plus faible.

 

5. Permet à l'État d'accéder aux technologies innovantes de manière raisonnée en optimisant la gestion du risque.

 

6. Permettre à l'État d'obtenir aux meilleurs prix les meilleurs produits et services; Puisque le coefficient V favorise les solutions qui s'organisent
autour d'un marché ouvert et concurrentiel.

 

7. Minimise les impacts négatifs d'une approche favorisant le plus bas soumissionnaire. Même si le prix reste le paramètre central, l'introduction
du coefficient V réduit son emprise et donc les stratégies commerciales agressives et déloyales.

 

8. Permet de construire des appels d'offres autour d'un ensemble de critères lisibles, simples, tangibles et incontestables.

 

 

 

1http://www.mesrst.gouv.qc.ca/recherche-science-et-technologie/politique-nationale-de-la-recherche-et-de-linnovation-pnri/politique-nationale-de-la-recherche-et-de-linnovation-2014-2019-investir-dans-la-recherche-et-linnovation-cest-investir-dans-le-quebec/#c10323